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mardi 19 juillet 2011

Cinéma post-apocalyptique et philosophie (28 jours plus tard - La Route)

La science-fiction et l'anticipation peuvent nous transporter dans un avenir imaginaire nous présentant des héros devant vivre dans ce monde et nous forçant la comparaison avec notre réel. Au cinéma comme en littérature, la réflexion naît de cette comparaison et sert souvent de base à une critique acerbe de la société. Les films que l'on qualifiera de 'post-apocalyptiques' mènent toutefois une réflexion beaucoup plus profonde sur la nature de l'homme.

Le principe de base de ce genre de films est simple. Tout d'abord, il y a une apocalypse. Celle-ci peut être de nature humaine (catastrophe sanitaire ou nucléaire...) ou non (catastrophe naturelle...). En général, une ou plusieurs personnes y survivent et nous les regardons se reconstruire ou se battre tout au long du film.

Les réflexions peuvent être de nature multiples. Lorsque l'apocalypse a une cause humaine, il s'agit souvent d'un scénario mettant en garde la société contre tel ou tel risque (risque du nucléaire, destruction de l'environnement, recherches scientifiques...). Ensuite, les personnages évoluent souvent dans ce qu'il reste de notre monde nous permettant d'explorer celui-ci sans limite ni contrainte. On peut alors y dénoncer la société de consommation (on se rappellera de Zombie de Romero où les personnages se réfugient dans un centre commercial !). Enfin, le dernier type de réflexion porte sur la nature de l'homme : qu'est-ce que l'homme privé de sa société ? On peut alors facilement croiser un film post-apocalyptique avec les discours philosophiques de Hobbes, Locke ou bien Rousseau. L'homme post-apocalyptique ressemble en effet à l'homme à l'état de nature, à la différence près que l'homme post-apocalyptique a lui connu la société... Différence très importante nous le verrons.

Spoiler ! Attention, dans ce qui suit, l'intrigue de 28 jours plus tard et La Route vont être dévoilées.


J'écris cet article car j'ai récemment vu deux films de ce genre. Le premier étant 28 jours plus tard de Danny Boyle. À Londres, Jim se réveille dans un hôpital (il était dans le coma), 28 jours après la libération d'un virus qui a forcé la population à l'exode et à la mise en quarantaine du pays. Ceux qui n'ont pas pu partir sont les contaminés et de nature très violente. Le film peut être divisé en deux parties. La première raconte la formation d'un groupe de 4 personnes qui tente de rejoindre un barrage routier suite à la réception d'un message radio leur promettant la solution à la contamination. Arrivé audit barrage routier, le groupe (qui ne contient plus que 3 personnes: Jim, Séléna, rencontrée par Jim au début du film et une jeune fille) est récupéré par un groupe de militaires vivant dans un château où ils essaient de repartir de zéro. Les militaires espèrent en effet que les contaminés vont finir par mourir de faim et qu'alors, une reconstruction sera possible. Toutefois, ce qui fait tenir les soldats est la promesse faite de femmes, nécessaires à la reconstruction mais leur permettant surtout d'assouvir leur désir sexuel...

La société que tentent de reconstruire les soldats est typiquement hobbesienne. À l'extérieur de celle-ci, homo homini lupus est (l'homme est un loup pour l'homme). Chacun fait comme il peut pour survivre et Jim n'aura pas hésité à tuer un jeune enfant qui l'attaquait pour ne pas être à son tour contaminé. Dans le château, un contrat social est passé entre les soldats : en l'échange de leur entraide et de la sécurité qu'ils apportent, ils ont la promesse de femmes et d'une reconstruction de la civilisation. Pour les forcer à respecter ce contrat, le major West, supérieur hiérarchique, joue le rôle du Léviathan de Hobbes. Il contraint ses soldats à agir dans l'intérêt de tous plutôt que dans leur intérêt individuel. Le contrat social sera brisé lorsque le groupe formé par Jim, Séléna et Hannah refusera le viol des femmes par les soldats.

Ce contrat social était-il légitime ? Les soldats pouvant satisfaire presque tous leurs besoins physiologiques (manger, boire, dormir...) et assurant leur propre sécurité dans le château, la seule chose qui leur manquait était satisfaire le besoin de se reproduire. Pourquoi ne pas se contenter du reste ? Cela est lié à la nature de l'homme et comme le disait Pascal (Pensées):
"Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre."
L'homme est éternellement insatisfait, il y aura toujours quelque chose qu'il voudra. À quoi bon vivre s'il n'y a aucun désir, aucune chose que l'on voudrait qu'il nous serait possible d'obtenir au prix de beaucoup d'efforts ?     Derrière chacun de nos gestes, n'y a-t-il pas un but, une finalité ? Vu sous cet angle, la promesse de femmes faite par le major West était en effet la seule chose qui pouvait permettre aux soldats de survivre de garder ce qu'il y a d'humain en eux. C'est grâce à cette promesse qu'on a pu les voir prendre des repas, faire des efforts pour la présentation et la cuisine, se divertir, apprécier une robe de soirée, rire, rester humain.

Qu'est-ce qui n'a pas marché alors dans ce contrat social ? L'arrivée de personnes qui n'étaient pas des soldats. Le contrat social du major West tenait bon car tous les soldats étaient égaux et œuvraient ensemble. Lorsque Jim, Séléna et Hannah arrivent, ce sont des personnes qui n'assureront pas la sécurité comme ils le font, qui vont dépendre d'eux et qui pourtant auront les mêmes privilèges de sécurité, d'alimentation et de confort. L'inégalité apparaît dans la société des soldats comme la source de sa destruction. À cause de cette inégalité, les soldats vont tenter d'abuser de leur position de force en voulant violer Séléna et Hannah mais ils en seront empêchés par Jim qui libérera un contaminé retenu pour étude par les soldats. Ledit contaminé va alors provoquer une réaction en chaîne qui détruira la société des soldats.

L'inégalité étant la faille du contrat social, il était dès lors non-viable puisque c'est l'arrivée de femmes, source d'inégalité qui était promise. Les soldats auraient pu survivre en alimentant leurs espoirs de reconstruction mais ils n'auraient jamais pu survivre.

Plus que la survie, la conservation de la part d'humanité qui est en nous est primordiale. Elle doit cependant être motivée par des objectifs, une raison même si celle-ci peut être cause de notre perte.

Le second film que je souhaite ici analyser est La Route de John Hillcoat, adaptation du roman éponyme de Cormac McCarthy. Ce film a été pour moi une grosse surprise et un gros coup de cœur, de par les réflexions auxquelles il m'a mené mais aussi par la qualité du jeu d'acteur, de la photographie et de l'ambiance. Après une apocalypse de nature inconnue, un homme et son fils suivent une route en direction du sud, vers la mer.

Quelle est ici la raison de survivre, de conserver sa part d'humanité ? Difficile à dire. D'ailleurs, beaucoup ont perdu le désir de vivre. Certaines familles se suicident (on pourra penser aux parents de Jim dans 28 jours plus tard qui s'étaient donné la mort échappant ainsi à la contamination). La mère de l'enfant s'est elle aussi suicidée, refusant de continuer la lutte pour la survie, abandonnant son enfant et son mari. D'autres, comme le vieil homme, survivent car ils sont incapables de se donner la mort. Le père survit pour son fils : lorsque son fils lui demande ce que son père ferait s'il venait à mourir, son père lui répond qu'il voudrait mourir aussi. Le fils, quant à lui, survit car il n'a jamais connu d'autre monde. Il est né dans ce monde post-apocalyptique, découvre le Coca-Cola à dix ans et demande à son père si la mer est bleue. N'ayant pas connu le monde pré-apocalyptique, il est plus proche de cet état de nature philosophique et est donc mû par le désir naturel de survivre. Toutefois, il évoque sa volonté "d'être avec maman". À la fin du film, alors que son père est mort et qu'il dispose d'une balle dans son revolver pour se suicider comme son père lui a appris, il décide toutefois de continuer à vivre et de poursuivre son chemin. Il a aussi d'autres désirs, comme celui de rencontrer quelqu'un de son âge. Dans une scène poignante, il a cru apercevoir un autre petit garçon et tente de le poursuivre jusqu'à ce que son père l'en interdise. L'enfant lui fait alors part de son rêve de voir quelqu'un de son âge. Ce peut être une des raisons qui pousse l'enfant à rester en vie, le besoin de société. Son rêve sera réalisé à la toute fin du film, quand alors seul, il est abordé par un homme et sa famille dont un petit garçon et une petite fille.

Le film dévoile un des aspects des plus effrayants de l'homme. Privé de nourriture, l'homme est à nouveau un loup pour l'homme : il est contraint au vol et au cannibalisme (on se souviendra de Delicatessen de Jeunet et Caro...). Dès le début du film, nous pouvons apercevoir un homme d'une tribu cannibale auquel il manque une jambe, ravage de la violence des hommes. Un des cannibales n'hésite pas ensuite à vouloir capturer l'enfant, sans doute à des fins culinaires. Son père n'hésite pas, quant à lui, à tirer en direction du prédateur et de sa proie. Dans tous les cas, il fallait tirer. Si la balle touche le cannibale, l'enfant est sauvé et ils peuvent s'enfuir. Si la balle touche l'enfant, cela lui évitera des souffrances en étant mangé par la tribu cannibale. La balle touchera le cannibale en pleine tête, répandant son sang sur l'enfant traumatisé. Tout au long du film, l'enfant demande à son père s'ils sont "les gentils", "les personnes bien" et son père le confortera lui affirmant que c'est le cas. Un homme en ayant tué un autre peut-il être bon ? Au fil du film, le père voit son humanité mise à l'épreuve. Plus tard, il refuse d'aider des hommes enfermés dans un garde-manger pour cannibale les condamnant à redevenir nourriture. Lorsqu'ils rencontrent le vieil homme, le père refuse tout d'abord de l'aider et c'est l'enfant qui le pousse à communiquer avec lui, lui donner à manger et finalement faire un bout de chemin avec. L'homme qui a donc connu la société est ainsi moins enclin que l'enfant, plus proche de l'état de nature, à aller vers ses semblables et les aider naturellement. Lorsqu'ils ont approché le vieil homme, celui-ci s'est défendu : "Je n'ai rien". À l'opposé, le père et son fils ont un chariot plein de nourriture et pourtant le père affirme : "il n'aura pas à manger". Les deux hommes qui ont connu le monde pré-apocalyptique ont connu la propriété privée et y sont encore attachés persuadés que c'est celle-ci qui permet à l'homme de survivre, de se reconstruire. L'enfant, quant à lui, partage tout naturellement la nourriture avec l'homme en besoin. L'homme dans l'état de nature serait donc comme l'imaginait John Locke, bon et solidaire. C'est la société qui le rend mauvais.

On retrouve le problème de la propriété privée un peu plus loin dans le film : le père et son fils se font dérober toutes leurs affaires. Ils poursuivent alors le voleur, un pauvre homme qui a volé car il était désespéré. "Vous auriez fait pareil", leur dit-il. C'est alors que le père le menaçant de son revolver, le dépouille de ses vêtements et l'abandonne nu sur la route. L'homme sans rien est comme mort. La propriété privée est nécessaire à la vie.  Conscient de cela, l'enfant souhaite l'épargner, il a pitié de lui mais le père le condamne à cette mort psychologique.

La métaphore du feu que l'on porte en soi pour notre part d'humanité est présente tout au long du film. Cependant, ce feu va petit à petit s'éteindre chez le père, jusqu'à sa mort, tandis que chez l'enfant, il se vivifie au fil des rencontres. C'est ce feu qu'il faut préserver à tout prix. À la fin du film, quand l'enfant se fait aborder et qu'il hésite à rejoindre la famille (son père l'a mis en garde contre les gens malhonnêtes) il demande à l'homme s'il porte le feu en lui. Réponse de l'homme: "tu es un peu fou comme garçon toi". Et quand l'enfant pointe son revolver vers lui : "Oui, je le porte".

Ces deux films m'ont permis de réfléchir quant à la nature de l'homme et de la société. Sommes-nous d'un naturel bon ? La société actuelle est portée par de multiples contrats sociaux, codes, règles, lois, mais comme le prouvent les guerres et les manifestations, tout cela est très instable. Est-il naturel pour l'homme d'être en société ? Que se passerait-il si celle-ci venait à disparaître ? 

5 commentaires:

  1. Ton article fait toute la lumière sur ce qui se cache derrière ces deux films. C'est une belle étude approfondie qui établit le lien indispensable entre le cinéma et la vie. Continue ainsi. Longue vie à ton blog mon Lulu et je suis fière d'y glisser le premier commentaire ;)

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  2. "Est-il naturel pour l'homme d'être en société ? Que se passerait-il si celle-ci venait à disparaître ? "

    => Réponse de l'humain moyen : pitié, je veux garder ma maison, mon iphone, mon travail, ma copine, je me complais tant dans ce morne train-train, c'est bien la société !

    Et ben voilà, après faut pas se plaindre de la domination de masse par des écervelés et un système politique d'exploitation si ce n'est carrément de l'esclavage pour payer le caviar de Monsieur.

    Alors insociable sociabilité certes mais surtout insipide société !

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  3. Je suis d'accord pour ta réponse de l'humain moyen mais la suite est un peu hors sujet. Il s'agit ici d'un post qui reprend le classique sujet de philo sur la nature de l'homme en société avec pour illustrations les deux films. La question ici est "doit-on être en société ?" et non pas "laquelle ?".

    On est bien loin des considérations sur le "caviar de Monsieur" qui reflètent plus comme tu le dis d'un type de "système politique". La question soulevée est plutôt : "Faut-il un système politique ?"

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  4. Ah mais j'ai pas lu ton article, juste la conclusion =)
    (c'est le spoiler qui m'a fait sauter tant de lignes)

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  5. Ah c'est sûr qu'en lisant seulement la conclusion, on peut vite se méprendre !

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